Chapitre II
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CHAPITRE II.
PROCÉDÉS JAPONAIS DE NANISATION DES ARBRES I. Semis et éducation. – II. Arrangement des branches. – III. Suppressions et mutilations des racines. – IV. Dressement des vieux arbres. – V. Arbres aux racines aériennes. – VI. Torsions du tronc et des branches. – VII. Rôle du greffage. – VIII. Simulacre du greffage. I. -- Semis et éducation. Le semis est peut-être le moyen d'obtenir des arbres se pliant le mieux aux exigences du jardinier japonais, mais c'est aussi le plus long. Les graines, choisies parmi les plus maigres et les plus petites de chaque espèce, sont semées dans de petits pots et dans une terre maigre. Aussitôt les jeunes plantes levées, un pincement est pratiqué audessus des deux cotylédons de façon à provoquer la naissance de deux bourgeons cotylédonaires qui sont de beaucoup moins vigoureux que le bourgeon central, et dont le plus chétif est seul conservé. Le développement de ce bourgeon évolue d'une façon très lente dans ce vase de dimensions restreintes avec cette privation de nourriture et les arrosages distribués juste pour ne pas laisser la jeune plante périr. Dès qu'il s'allonge, on lui fait prendre la forme tourmentée d'un S ou on le contourne de différentes façons ; ou bien encore lorsqu'il se lignifie et qu'on l'a rendu très flexible par une privation d'eau qui le fait faner, on fait plusieurs noeuds comme s'il s'agissait d'une ficelle. Cette opération, surtout pratiquée sur les Pins, contrarie le développement et fait prendre des proportions inusitées au collet (fig. 6). Dès que les ramifications se développent, celles conservées sont tordues, attachées de bonne heure et au fur et à mesure de leur élongation, entre elles ou au tronc, de façon à leur donner une direction irrégulière, sinueuse, en zigzags, tout en les maintenant dans un plan vertical oblique ou horizontal, suivant la forme visée. II. -- Arrangement des branches. Les pincements souvent répétés et les liens nombreux de fil de laiton presqu'invisibles ou de fibres de bambou très fin aident la régularisation et le maintien de la forme que ces arbres doivent avoir. Lorsqu'un rameau meurt on en choisit un autre ou on pourvoit à son remplacement par le greffage. Dans beaucoup de cas, et surtout pour les Conifères, il faut contourner l'axe du jeune arbre autour d'un support, comme on le fait pour une plante volubile. C'est ce qui explique la direction en spirale qu'ont certains troncs de Chamæcyparis et surtout ceux des Pins. Le support employé est, soit un gros tronc de Bambou, qui est ensuite enlevé, soit un tronc de Fougère, soit encore un fragment de roche poreuse, de polypier, de madrépore, qui est conservé, dont le facies contourné est en harmonie avec celui des arbres. Beaucoup de ces pygmées importés en Europe avaient été élevés de cette façon et les rameaux étaient incrustés dans la roche ou dans le morceau de tronc qui constituait leur support. On conçoit qu'en opérant ainsi les vaisseaux s'atrophient en entravant la circulation de la sève. Dès lors, le jeune arbre devient difforme ou plutôt prend une forme tourmentée ou telle qu'on la désire. |
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III. -- Suppressions et mutilations des racines.
Cette végétation rachitique est encore plus accusée par la privation de nourriture et surtout par l'espace restreint dans lequel les racines s'allongent, évoluent et qu'elles ont vite fait de remplir, en s'échappant même au dehors. On les change bien de vases, à plusieurs années d'intervalle, mais ceux-ci n'étant guère plus grands, la végétation ne s'en ressent aucunement. Le sectionnement total ou partiel du pivot et les mutilations des racines principales menées de front avec celles de la ramure sont pour beaucoup dans le résultat. Même s'il n'était pas fait de suppression de racines, le pivot, ou racine principale, gêné dans son développement, ne tarderait pas à s'atrophier ou à être détruit ; les radicelles, gènées également, ne pourraient se développer assez vite ni en quantité suffisante, pour puiser dans le sol les éléments nutritifs nécessaires à l'alimentation normale de la plante. La conséquence de ce premier traitement est une réduction générale très notable dans le port de la plante qui continue néanmoins à vivre, chétivement et péniblement. Ce fait est d'ailleurs observé, d'une façon moins prononcée, dans les cultures européennes pour les plantes que l'on a négligé de rempoter en temps utile. IV. -- Dressement des vieux arbres. Malgré l'opiniâtreté et la patience qu'ils apportent à la formation des arbres obtenus de semis, les japonais veulent, dans beaucoup de cas, aller plus vite en besogne. Ils recherchent dans les montagnes, sur le flanc des rochers et dans les parties boisées, des végétaux déjà rabougris, tordus, échevelés, couchés sous l'effort des tourmentes, auxquels la situation où ils croissent a déjà imprimé des formes curieuses, irrégulières ou pittoresques, ou bien encore ils choisissent dans les cultures et dans les pépinières quelques sujets qui paraissent se prêter à un dressement qu'ils considèrent rationnel et se mettent en devoir de les préparer. Comme l'appareil radiculaire de ces végétaux est de beaucoup trop développé pour tenir dans les vases minuscules qui leur sont destinés, toutes les grosses racines sont supprimées et les autres, conservées en quantité juste pour empêcher l'arbre de périr, raccourcies notablement. Le but de cette opération est de réduire considérablement la végétation. Ils les rempotent en laissant, lorsque le sujet s'y prête, une partie de la souche hors de terre dans des vases de taille exigue et les maintiennent dans une position analogue à celle qu'ils occupaient, veillent à l'établissement des branches, conservent celles qui sont contournées et suppriment les inutiles qui nuisent au bon effet de l'ensemble. D'autres sont courbées, tordues ; les vides sont comblés de façon que tout en conservant le caractère pittoresque, la forme visée puisse être obtenue. Par la suite, ils procèdent successivement aux torsions, contournent celles trop vigoureuses ou qui prennant une mauvaise direction, comme s'il s'agissait d'arbres obtenus de semis. Les racines n'ayant qu'un espace très restreint pour se développer, la nourriture étant rare, les arrosages parcimonieux, ces arbres étant, de plus, exposés aux rayons brûlants du soleil, restent chétifs et rabougris. |
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V. -- Arbres aux racines aériennes.
Pour beaucoup de végétaux les racines, comprimées dans les limites très étroites d'un vase, s'échappent et font saillie au-dessus du sol. En déchaussant celles-ci davantage par l'enlèvement graduel de la terre, le tronc se trouve soulevé et le départ de la tige est donc soutenu dans l'air par elles de 0 m 10 à 0 m 50 au-dessus de la potiche à la façon des plantes épiphytes et des Pandanus dont la partie inférieure du tronc s'est trouvée détruite (fig. 8, 9 et 13). Mais l'obtention de ces longues et frêles racines aériennes est due, dans la majorité des cas, à un traitement différent qui est appliqué dès le semis des graines. Voici comment il a été rapporté à différentes reprises : Chaque semence est placée au milieu d'une ouverture très étroite d'un récipient aux parois résistantes, dans un mélange de fibres de Palmier, de mousse, de débris d'étoffe et de poudre de charbon de bois. Cette graine germe, la plantule sort et s'élève par cette ouverture, tandis que les racines se développent et décrivent de multiples circonvolutions dans ce milieu spacieux. On arrose aussi souvent que cela est nécessaire. Comme les matières nutritives font plutôt défaut, le jeune arbre, dont les rameaux sont contournés en hélice, ou bien dirigés en de nombreux lacets et boucles, retenus par une profusion de ligatures, ne peut grandir. Cela n'empêche pas les racines de toujours s'allonger, en quête de nourriture, en se ramifiant à leur extrémité. Lorsque les jardiniers japonais jugent qu'elles sont suffisamment longues, la jeune plante est enlevée, ses racines dépliées, la base est enterrée dans un vase aux dimensions restreintes; développées verticalement et soutenues par des tuteurs, elles portent à une certaine hauteur au-dessus de la jardinière une ramure des plus minces. Par la suite, l'air, les vents, la privation d'eau, les hâlent et les durcissent en rendant plus difficile l'ascension des liquides dans des vaisseaux rétrécis encore atrophiés en partie par ces multiples circonvolutions, ce qui donne à l'arbre un aspect encore plus rabougri, une apparence quelque peu fantastique comme quelque chose d'irréel et de chimérique. Ce sont ces racines démesurément allongées hors du sol comparativement aux dimensions de l'arbuste qui supportent une tige minuscule dont rien n'indique le point de départ, aux ramifications rares, chétives, tordues et retenues entre elles par de multiples attaches. Le dessin de l'arbre nain représenté sur la couverture de cette plaquette montre la silhouette exacte d'un des sujets dressés de cette façon. Plus les végétaux sont vigoureux, plus nombreux et plus radicaux sont les retranchements et les raccourcissements des racines principales, ainsi que les privations de nourriture et d'arrosages, les recépages du tronc, rabattages et torsions des branches. VI. -- Torsions du tronc et des branches. La vigueur des Pins n'est arrêtée qu'à la suite de nombreux recépages, de torsions et de nœuds sur la branche conservée, c'est ce qui explique ces moignons et ces nodosités que l'on remarque sur certains Pins, et d'où ne part qu'un frêle rameau, à la végétation languissante et au feuillage parsemé, se dirigeant en hélice (fig. 6) après avoir contourné ces excroissances et avoir été ramené plusieurs fois sur lui-même. Les ramifications sont elles-mêmes repliées et maintenues dans cette position par une infinité de petites attaches faites de laiton fin ou de fibres de bambou. La mutilation des grosses racines souvent répétée pour les arbres déjà âgés dont on commence le dressement, et l'atrophie partielle des petites, pour ceux obtenus de semis, établit l'équilibre avec la ramure. Quel que soit l'arbre ainsi dressé, les rameaux contournés, repliés sur eux-mêmes soit en serpentant, soit en hélice, paraissent trois à quatre fois moins longs qu'ils le sont réellement et toutes ces contorsions mettent un obstacle à la végétation, les vaisseaux se trouvant écrasés dans cette position. Les japonais s'astreignent aussi, pour certains arbres, à intervertir l'ordre normal de la distribution des branches, en favorisant le développement de grosses branches dans la partie supérieure et en ne conservant que les plus frêles à la base. |
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VII. -- Rôle du greffage.
Le greffage joue un rôle prépondérant dans la formation des arbres pygmées, ainsi que le simulacre de greffage de deux genres distincts. A force de tourmenter les rameaux, certains d'entre eux meurent ; pour les remplacer, les japonais ont recours au greffage. Souvent même toutes les branches sont coupées, et sur le tronc noueux ils apposent un certain nombre de greffes afin de pouvoir diriger cet arbre en harmonie avec leurs aspirations. Mais, c'est principalement pour le dressement des Podocarpus que le greffage est largement mis en œuvre. Ils impriment à cet arbre la forme pyramidale un peu méplate avec les bords relevés, ce qui donne vaguement à sa partie essentielle l'apparence d'un bicorne. A cet effet, des Podocarpus macrophyllus, dont le tronc a déjà 0 m 06 à 0 m 10 de diamètre, sont rempotés dans des vases minuscules, décapités à une hauteur de 0 m 40 à 0 m 60 au-dessus du sol. Sur ce tronc absolument dénudé, on pose en tête cinq or six greffes en couronne et, sur presque toute la hauteur, des greffes de côté ou en approche, en nombre suffisant, et convenablement distancées pour une formation rationnelle, d'une autre espèce ou variété, notamment de celles à feuillage panaché. Les rameaux frêles sont attachés ensemble au fur et à mesure de leur élongation, pincés, entrelacés, formant des pyramides plus ou moins régulières ayant l'aspect d'un petit chapeau napoléonien. Les Erables sont surtout intéressants à cause des greffages qui leur sont appliqués. Deux Erables de variétés différentes sont plantés dans un même vase. A 0 m 15 au-dessus du sol, les deux sujets sont rapprochés horizontalement et greffés par une série de torsades, suivant la même ligne ; puis, ils reprennent leur direction verticale et sont encore de nouveau soudés plus haut de la même façon et à plusieurs reprises en formant ainsi comme une suite de chaînons représentant assez exactement le sommet de la hampe d'un étendard romain. Quand ces arbustes sont arrivés à une certaine hauteur, les japonais y posent encore une série de greffes par approche de plusieurs autres variétés et obtiennent ainsi une grande diversité dans la forme et la coloration du feuillage d'un même sujet. |
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VIII. -- Simulacre de greffage.
Les amateurs et jardiniers nippons s'appliquent surtout à dissimuler les greffes normales ; mais, par contre, ils mettent bien en évidence des semblants de greffage anormaux qui, aux yeux des personnes non initiées, donnent l'illusion de véritables soudures et représentent des anomalies et des monstruosités. C'est ainsi que l'on a pu voir, parmi les exemplaires mis en vente à l'hôtel Drouot, des Pins entés sur des Erables et réciproquement, qui, en réalité, étaient simplement le résultat d'un simulacre de greffage, fort bien exécuté, d'ailleurs, puisque tout le monde s'extasiait devant l'habileté et la science de ces jardiniers. Dans un même vase ils plantent côte et greffent en approche les deux sujets. Comme l'un des deux a généralement plus de vigueur, en poussant il entoure et recouvre l'autre en partie, dont le pied n'apparaît presque plus, de sorte qu'il semble être le résultat d'une véritable greffe. Dans d'autres cas, on fait contourner la tige de l'Erable par celle du jeune Pin plus flexible ; comme on le ferait avec un osier et on les noue tous deux ensemble. Avec le temps la tige du Pin s'aplatit autour de celle de l'Erable et forme un bourrelet qui dissimule complètement la base de cette dernière. Ils usent du même stratagème pour deux genres distincts de Conifères. |
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