Chapitre I
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CHAPITRE I
LE DRESSEMENT DES ARBRES NAINS I. Esthétique japonaise. – II. Causes physiologiques de nanisation et de déformation des végétaux. – III. Les amateurs et dresseurs d’arbres renommés. – IV. Les différentes formes d’arbres et leur classement. -- V. Scènes et jardins minuscules. – VI. Les végétaux se prêtant à la nanisation. – VII. Importations d’arbres nains. I. -- Esthétique japonaise. Aux futaies majestueuses, aux ombrages séculaires, au libre développement des végétaux, les Japonais, qui ont créé l'art de rapetisser les choses, préférent les arbres minuscules, les forêts lilliputiennes, qui constituent des étrangetés à nos yeux. Ces arbres plantés dans de minuscules jardinières ou dans des plateaux très bas présentent, en miniature, l'aspect et les caractères de leurs congénères croissant librement en pleine terre, et la plupart portent les stigmates du temps ainsi que les traces évidentes de leur dressement : troncs noueux et rabougris, rameaux tordus et contournés, feuillage rare et chétif. Les aspirations des Orientaux, leurs goûts, sont différents des nôtres ; cela tient autant aux traditions de leur nation, qu'à leur esthétique et qu'au milieu dans lequel ils vivent. En général, au Japon, les hommes sont petits, les maisons aussi, -- ces dernières afin de mieux résister aux éléments, -- des jardins minuscules aux décors mignons les entourent ; les grands arbres y seraient disproportionnés et aucunement en harmonie avec la nature. On conçoit donc que ces hommes aient la passion des arbres minuscules, des plantes naines et de tout ce qui est contourné, vu en raccourci, puisque cela s'accorde mieux avec les dimensions de leur petite personne. Ils ont, de ce fait, une telle prédilection pour tout ce qui est menu et petit, que ce qui est diminué de taille semble être pour eux synonyme de perfection ; de là leur goût pour la nature miniaturisée. Pour obtenir de tels résultats et contraindre de grands arbres à se transformer en nains, ce qu'il faut de soins, d'observation constante, de patience et de ténacité est inimaginable. Car si l'arbre nain perd une de ses branches, ou son caractère, par un rameau mal dirigé, il n'a plus autant de valeur. On a dit que ces végétaux pouvaient être mis en parallèle avec des monstruosités ou avec des personnes contrefaites ; le rapprochement n'est pas toujours logique, car il y a une véritable contrainte exercée sur un arbre, qui, non gêné dans son accroissement, se fût développé librement, et l'on sent plutôt qu'une volonté tenace et patiente l'a plié à ses exigences. Il ne serait donc pas exact de comparer les plantes naines obtenues dans les cultures européennes avec ces arbres miniatures que les Japonais excellent à dresser. Tandis que la (( nanisation )) des plantes est poursuivie chez nous par voie d'hybridation et de sélection principalement, auxquelles s'ajoutent quelques opérations culturales, notamment les pincements, afin d'approprier ces plantes à certaines utilisations, elle est au Japon le résultat d'un traitement spécial et suivi, car telle semence provenant d'un de ces pygmées, ne saurait en donner d'autres directement. Nous pouvons même ajouter que plus d'un de ces (( quasimodos )) mis en pleine terre ne tarderait pas à s'échapper des limites étroites dans lesquelles il est enserré. Nous considérons, d'autre part, qu'il ne saurait y avoir de corrélation, ni aucun élément de comparaison entre les végétaux dressés par les chinois et les arbres nains japonais, tellement le but visé et les procédés mis en oeuvre sont différents. M. Albert Tissandier, qui a vu ces arbres sur place, indique, dans La Nature (1891, p. 360 et 1902, p. 86) la façon dont les jardiniers chinois les préparent. Une armature en fil de fer représentant divers personnages, un animal ou un objet quelconque, étant posée sur le vase, on palisse dessus les rameaux de la plante ; lorsqu'ils veulent silhouetter des personnages, la tête, les mains et les pieds sont en faïence peinte. Dans d'autres cas, des Ifs sont taillés et torturés en forme de mandarins on d'autres personnages. On conçoit donc aisément que les végétaux japonais n'aient qu'une lointaine ressemblance avec ceux de Chine, ceux-ci étant dressés d'une façon antinaturelle et fort différente. |
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II. -- Causes physiologiques de nanisation et de déformation des végétaux.
La nanisation ou, pour être plus exact, l'atrophie de ces végétaux est le résultat de causes physiologiques qui sont elles-mêmes la conséquence, soit des procédés culturaux employés, soit, du milieu où se trouvent ces végétaux. Il faut même voir les deux dans la formation des arbres lilliputiens des nippons, car le climat du Japon joue un rôle prépondérant dans la végétation qu'il prédispose à rester naine. L'altitude, la chaleur sèche, les froids persistants, l'insuffisance de nourriture, l'espace restreint pour les racines, le manque de nutrition dans le jeune âge des végétaux, les vents qui les couchent ou qui brisent l'axe, sont autant d'éléments qui déterminent le rabougrissement des végétaux, que M. Vallot a fort bien décrits, que tout le monde peut observer au cours d'excursions dans les montagnes, dans les rochers de la côte d'azur et dans les lieux arides, et qu'il serait trop long d'énumérer ici en détail. (( Une Conifère dont la flèche est coupée, dit-il avec justesse, subit un temps d'arrêt ; si cette opération est recommencée successivement lorsque l'arbre commence à se remettre, le retard deviendra de plus en plus grand el l'arbre restera noueux, déformé et rabougri )) . Toutes les opérations culturales portant sur le sujet et sur son alimentation : recépages continus, torsions et contournement des rameaux, rempotages étroits, taille des racines, etc., qui peuvent paralyser les fonctions vitales, entraver la circulation de la sève, ralentir la nutrition, provoquent fatalement un arrêt dans la végétation, se traduisant par une réduction très notable et parfois une déformation du port de la plante, et en préparent la nanisation. Cela serait surtout une affaire de temps et de persévérance, si les japonais n'apportaient, en plus, des sentiments d'esthétique et un certain art au dressement de leurs arbres pygmées. C'est pourquoi les mêmes sujets, mais moins maniérés dans leur ramure, se rencontrent à chaque pas sur les flancs de la montagne, dans les fissures des rochers et dans toutes les situations où les végétaux luttent contre les éléments naturels, pour leur existence. Les procédés employés par les japonais ne sont donc pas aussi anti naturels qu'on tend à l'affirmer. Il ne faut pas oublier, en effet, qu'ils sont plus des imitateurs habiles et subtils autant que des esprits avisés, que des créateurs, au sens complet du mot ; tout dans les industries et les arts nippons le démontre d'ailleurs surabondamment. |
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(Chamæcyparis obtusa). |
III. -- Les amateurs et dresseurs d'arbres renommés.
Le dressage des arbres nains se pratique depuis des siècles au Japon et en Chine avec une véritable passion d'art. On se transmet de génération en génération ces produits d'une collaboration de l'homme et du temps, et certains exemplaires parfaitement réussis, présentant, soit une conformation particulière obtenue d'après un plan initial ; soit, en réduction, la silhouette exacte qu'il a dans la nature. Cet art japonais a ses écoles et ses célébrités, aussi bien amateurs que professionnels, comme en Europe la peinture et la sculpture. Eséki, Chokarô, Murano, OEsopé, Magoyémon qui était expert dans le dressage des Pins, la famille Ito qui s'occupait de préférence des Chamæcyparis et des Thuya, ont formé à Tokio et dans les autres centres des élèves renommés : Nishé de Idéka, Také de Denchu, Tanaka, Takaghè, Terano de Yamamoto. Chacun de ces artistes a signé de ces oeuvres végétales qui ont atteint et ont toujours une valeur élevée qui égale parfois celle d'un tableau. Mais ces arbes sont particulièrement soignés, car le moindre manquement à la forme est une tare originelle. IV. -- Les différentes formes d’arbres et leur classement. Indépendamment des efforts faits pour conserver à certains arbres demeurés nains leur facies naturel, ils tendent à obtenir des formes suivant des diagrammes de lignes et d'après une esthétique bien définie qui n'est pas étrangère à l'esthétique de l'art floral japonais. La meilleure preuve, c'est que les arbres nains sont classés en sept groupes principaux bien définis qui ont reçu les appellations suivantes : Bonsaï : miniature d'un arbre ayant conservé son port et son aspect naturels (fig. 4, 9, 13). Mikoshi : arbre nain dont la base est dénudée et rappelle les arbres à tige (fig. 3, 15). Kengaï : végétal surplombant un tertre ou dont la ramure semble s'étendre au-dessus d'une roche (fig. 7, 12). Nazashi : arbre nain aux branches penchées ou retombantes (fig. 5). Jikki : arrangement régulier de branches (fig. 2, 6, 10, 11). Neazari : arbre ou arbuste dont on s'est attaché à mettre la partie supérieure des racines à nu (fig. 8, 11, 13). Bonkaï : réunion dans un même vase de plusieurs végétaux nains, formant soit une groupe, soit une scène pittoresque (fig. 1). On peut encore simplifier ce classement en l'établissant en deux grandes sections. 1° Les arbres présentant une réduction exacte, ou à peu près, tout en conservant leur port et leur facies normaux et qui constituent une réduction photographique, si bien qu'en les examinant, sans autre point de comparaison ils paraissent être vus par le gros bout d'une lorgnette. 2° Ceux qui ont subi une modification de formes dans leur dressement, suivant une théorie de lignes faciles d'ailleurs à déterminer. |
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V. -- Scènes et jardins minuscules.
Il nous faut ajouter qu'en s'inspirant toujours des mêmes principes ils forment aussi, dans un simple plateau, des jardins miniscules de quelques décimètres carrés, de petites scènes pittoresques, par une heureuse disposition de diverses plantes, sur un tertre en miniature, parfois flanqué d'une roche ; le tout, en général, bien proportionné et montrant en réduction quelques sites de jardins japonais renommés. Ils renferment dans ces silhouettes l'évocation d'un paysage gracieux et puissant, d'après un plan initial qui permet de diriger l'arrangement général, car rien n'est laissé aux fantaisies du hasard. Cela est fait avec une réelle connaissance de la loi des proportions et donne l'illusion d'un véritable paysage. Nous avons vu dans un plateau, une minuscule reproduction de l'île Misaka constituée par : un Pin tordu, un Cryptomeria échevelé, un Kirisima et un Bambou enchevêtrant leurs rameaux et abritant sous leurs frondaisons de petites maisonnettes en bronze devant lesquelles semblaient se mouvoir d'imperceptibles personnages de faïence. Dans un autre plateau était un autre jardin miniature que dominait la capricieuse et tourmentée silhouette d'un Pin, au-dessus d'un Thuya dressant son tronc noueux sur un rocher qu'enserraient, comme de petits filaments rouges, les racines de cet arbre semblables à des serpents ; tandis qu'exquis de finesse et de forme, un petit Erable portait sa délicate ramure couverte de feuilles de colorations différentes au-dessus d'un petit portique. La figure 1 montre un de ces paysages en réduction, fort bien conçu, et un véritable coin de nature miniaturisée ; le sujet fut exposé au Temple Show, à Londres cette année ; il se composait de roches et troncs de Fougères avec une végétation de Pins et de Thuya obtusa. Après avoir modelé le sol du dessus d'une jardinière, comme il le ferait avec de la glaise, de façon à représenter le relief exact du terrain qu'il veut représenter, le jardinier ajoute quelques fragments de rochers toujours proportionnés avec l'ensemble, si la scène en comporte ; puis il présente les végétaux choisis, lesquels sont déjà dressés, aux emplacements qui leur sont réservés, et ne les plante qu'autant qu'ils produisent l'effet désiré et accentuent le caractère de vérité de ce paysage en réduction. C'est ensuite qu'il dispose ses constructions, vases, portiques, et met en scène les personnages qui doivent donner la vie au paysage. Il n'y a rien qui soit antinaturel dans cet arrangement et souvent même lorsque le sujet à représenter se trouve être un rocher escarpé, un coin de nature sauvage, il omet tout ce qui pourrait être artificiel et ne place que des touffes de végétaux qui, d'avance, s'enchevêtrent les uns dans les autres, pour montrer la différence existant entre cette nature inculte et leur jardin peigné, soigné, bichonné à l'instar de leur personne. N'est-ce-pas en même temps créer l'illusionnisme le plus charmant et supposer maintes rêveries devant ces paysages lilliputiens? |
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VI. -- Les végétaux se prêtant à la nanisation.
Il est évident que les Japonais doivent choisir les essences qui se prêtent le mieux à cette nanisation et à la déformation qu'on leur fait parfois subir en tenant compte de leur nature. Ce sont les Conifères qui constituent les végétaux de prédilection pour la formation de ces pygmées et parmi celles-ci les: Chamæcyparis obtusa, C. o. breviramea, (que les Japonais nomment variété verte) C. o. filicoides aurea (désignée au Japon sous le nom de variété d'or); Pinus densiflora, P. d. albiflora (le Schiraga m'ats'su), P. parviflora, P. p. brevifolia, P. pentaphylla, P. Massoniana, P. Thunbergi ; Podocarpus Nageia, P. N. vareigata, (nommée variété blanche), P. macrophylla, P. okina /i> ; Larix leptolepis ; Juniperus rigida, J. procumbens, J. chinensis, J. Sabina (Ibouki) ; Cryptomeria japonica ; Ibouki ( Cupressus Corneyana ); Sciadopitys verticillata ; Thuyopsis dolabrata, Tsuga Sieboldii, Ginkgo-biloba, etc. Cela pour plusieurs raisons, d'abord parce qu'elles s'y prêtent mieux, qu'elles se contentent de peu de nourriture sans risquer de mourir brusquement, que leurs racines s'allongent rapidement et permettent d'en constituer des tiges aériennes portant la ramure à une grande distance du pot. En général, les végétaux à feuillage caduc ne produisent pas la même impression. Toute rapetissée et rachitique que soit leur ramure, les feuilles tendent à se développer assez grandes et ils paraissent alors des végétaux pour qui la loi des proportions n'existe pas. Les Conifères donnent au contraire toujours l'illusion de paraître, en dehors de tout point de repère qui puisse révéler leurs dimensions réelles, de véritables réductions d'arbres géants car le feuillage reste en parfaite harmonie avec la ramure.
Les végétaux autres que les Conifères les plus
utilisés sont les : Erable (
Acer Negundo,
A. palmatum,
A. trifidum
et autres espèces à feuillage découpé),
Rhyncospermum japonicum, Kiyaki (
Nous conservons les noms japonais
pour quelques arbres.
) (
Planera Richardi
), Chêne, (
Quercus cuspidata
et
Q. phylliræoides
), Prunier (
Prunus Mume
et
P. Kaido
), Tokaïdo,
Styrax japonica,
Lagerstrœmia indica
;
Cycas revoluta,
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VII. -- Importations d'arbres nains.
C'est en 1878 que l'on vit pour la première fois en France une collection d'arbres japonais, qui furent apportés pour l'Exposition Universelle par M. Kasavvara. En 1889 une autre collection, moins importante, fut aussi exposée tandis qu'en 1900, on n'en vit que quelques exemplaires dans le jardin japonais au Trocadéro. L'importation, dont les sujets présentés à l'Exposition d'Horticulture de Paris et ont été vendus en juin à l'hôtel Drouot, avait été faite en mars; tous les sujets étaient dans des caisses, ils ont été successivement rempotés dans des jardinières-potiches et dans des plateaux. Les 173 numéros du catalogue et une trentaine d'autres sujets de cette vente ont atteint pour la plupart, des prix élevés. Ce sont principalement les Conifères, et notamment les Thuyas, et après les Pins, qui ont été les plus disputés ; certains Thuyas, au début de leur formation, ont trouvé acquéreurs à plus de 100 francs. A titre de curiosité nous donnerons la mise à prix et la somme à laquelle ont été adjugés les principaux spécimens. Un Thuya mis à prix à 100 francs a atteint celui de 425 ; un autre à 200 francs, adjugé 530 francs ; un Pin 100 francs, adjugé 300 francs ; un Erable nain 100 francs, adjugé 280 francs ; un Podocarpe 150 francs, adjugé 300 francs ; un Thuya 350 francs, adjugé 630, etc. Mais le record a été détenu par les spécimens suivants : un Thuya, spécimen d'arrangement Mikoshi, âgé d'environ 200 ans a trouvé preneur à 1.120 francs ; le Pin dressé par Magoyémon, mis à prix à 600 francs, a été adjugé 900 francs, il était catalogué 2.500 francs à l'exposition Bing ; enfin, un Thuya, spécimen d'arrangement Jikki, qui était étiquetté 2.000 francs chez Bing, mis à prix à 600 francs, a monté à 1.310 francs, c'est vrai que le catalogue lui donne 250 ans! Notons qu'il faut ajouter à ces prix 10 0/0 pour les frais. L'adjudication la moins élevée a été pour un Cerisier, puisqu'il n'a atteint que 13 francs. Les Anglais semblent se passionner pour ces arbres, ce qui explique les fréquentes et considérables importations qui ont lieu dans ce pays depuis quelques années. Le roi Edouard possède mème [sic] des exemplaires uniques auxquels il s'intéresse particulièrement. |
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